
Le microbiote intestinal est impliqué dans le développement de nombreuses maladies neurologiques et psychiatriques
Résumé
Le trouble de l’usage d’alcool (TUA) est un problème de santé publique majeur ayant de nombreuses répercussions psychologiques et sociales pour l’individu qui consomme et son entourage. Les agents pharmacologiques, ciblant les neurotransmetteurs cérébraux impliqués dans le développement du TUA, montrent une efficacité limitée. Cette revue s’intéresse au rôle du microbiote intestinal dans le développement du TUA. Les voies de communication entre l’intestin et le cerveau y sont développées. L’alimentation jouant un rôle clé dans la modulation du microbiote, des approches nutritionnelles pourraient être envisagées afin de réduire les symptômes psychologiques des patients atteints de TUA.
Introduction
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la consommation d’alcool est un facteur de risque pour plus de 60 maladies et est responsable de plus de 2,5 millions de morts par an dans le monde [1]. Toujours selon l’OMS, 7 % de la population mondiale souffre d’un trouble de l’usage d’alcool (TUA). Dans sa forme sévère, le TUA est plus communément appelé alcoolodépendance. L’exposition chronique à l’alcool est toxique pour la plupart des organes, avec des répercussions néfastes sur le système digestif, le système cardiovasculaire et le système nerveux. Au niveau psychologique, des effets délétères à long terme tels que des atteintes cognitives, des troubles de la cognition sociale mais également de la fatigue, de la dépression et de l’anxiété sont constatés chez les patients alcoolodépendants. Des problèmes sociaux et professionnels et d’autres comorbidités addictives sont aussi à déplorer. De nombreuses études neurobiologiques ont pu mettre en évidence une dérégulation du système de récompense cérébrale dans le TUA. En effet, des modifications de neurotransmetteurs tels que la dopamine, la sérotonine, le GABA, le glutamate, les peptides opioïdes endogènes sont impliquées dans le développement et la maintenance de l’addiction [2]. La plupart des molécules pharmacologiques utilisées actuellement dans le traitement de la dépendance à l’alcool et ciblant ces neurotransmetteurs cérébraux montrent une efficacité limitée [3]. Le taux de rechute chez les patients TUA, une année après une cure de désintoxication à l’alcool, est de l’ordre de 70 à 80 % [4]. C’est pourquoi il est urgent de trouver de nouvelles pistes thérapeutiques permettant à ces patients de maintenir une abstinence sur le long terme. Dans cette revue, nous nous intéresserons au rôle du microbiote intestinal dans l’addiction, aux voies de communication entre l’intestin et le cerveau, et aux différentes manières de moduler le microbiote intestinal afin d’obtenir un effet bénéfique dans le TUA (figure 1).
Le microbiote intestinal
Le microbiote intestinal est un écosystème constitué de bactéries, virus, levures et archées avec lequel nous vivons en symbiose. Ce microbiote est composé de 104 cellules bactériennes, ce qui équivaut à 10 fois plus de cellules bactériennes que de cellules humaines. Son génome, appelé microbiome, contient quant à lui 100 fois plus de gènes que le génome humain [5]. Le microbiote intestinal est considéré comme un organe à part entière étant donné les nombreuses fonctions qu’il remplit. Il est
L’axe intestin–cerveau
Depuis plusieurs années, un nouveau domaine de recherche s’articulant autour de l’axe–intestin–cerveau a pu montrer que le microbiote intestinal est impliqué dans le développement de nombreuses maladies neurologiques et psychiatriques, dont le TUA. Les bactéries intestinales sont en effet capables de communiquer avec notre cerveau, influençant ainsi notre comportement, nos émotions et nos fonctions cognitives. Des recherches récentes ont pu mettre en évidence trois voies de communication entre
Le microbiote intestinal et le TUA
Les altérations du microbiote intestinal dues à la consommation chronique et abusive d’alcool chez les patients TUA, conduisant à une dysbiose, sont variables d’une étude à l’autre. À ce jour, il n’y a pas un consensus sur un profil microbien spécifique du TUA. Néanmoins, une revue systématique récente nous éclaire sur les modifications d’abondances bactériennes les plus souvent retrouvées (voir tableau I).Chez les patients TUA, ces modifications concernent principalement, au niveau des grands
La cétogenèse : une voie métabolique impliquée dans le TUA
En plus des modifications comportementales, la transplantation de microbiote de patients TUA a induit des modifications des fonctions cérébrales chez les souris receveuses. En effet, une baisse de la myélinisation, des changements de l’expression des récepteurs au GABA et au glutamate et une neuroinflammation ont été observés dans certaines zones cérébrales telles que le cortex frontal et le striatum. Une analyse métabolomique réalisée dans le sang des souris a pu mettre en évidence une baisse
Moduler le microbiote intestinal pour améliorer l’addiction ?
Etant donné que l’alimentation est un facteur clé modulant le microbiote intestinal, il semble intéressant de pouvoir améliorer la composition du microbiote via des approches nutritionnelles en vue d’obtenir un effet bénéfique sur le TUA. Plusieurs tentatives ont été réalisées, via l’utilisation de probiotiques, prébiotiques ou encore via la transplantation fécale chez l’homme.
Conclusion
Bien que de plus en plus de découvertes soient faites à son sujet, le TUA reste une maladie complexe, avec des altérations centrales et périphériques. Le microbiote intestinal semble avoir un rôle à jouer dans le développement des symptômes psychologiques de ce trouble. Suite aux résultats encourageants de ces dernières années, il semble que la modulation du microbiote intestinal représente une option thérapeutique prometteuse dans le cadre du traitement du TUA.
Références (21)
- B.A.JohnsonUpdate on neuropharmacological treatments for alcoholism: scientific basis and clinical findingsBiochem Pharmacol(2008)
- C.M.Bradizzaet al.Relapse to alcohol and drug use among individuals diagnosed with co-occurring mental health and substance use disorders: a reviewClin Psychol Rev(2006)
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- R.M.Stillinget al.The neuropharmacology of butyrate: the bread and butter of the microbiota-gut-brain axis?Neurochem Int(2016)
- S.Leclercqet al.Role of inflammatory pathways, blood mononuclear cells, and gut-derived bacterial products in alcohol dependenceBiol Psychiatry(2014)
- S.Leclercqet al.Role of intestinal permeability and inflammation in the biological and behavioral control of alcohol-dependent subjectsBrain Behav Immun(2012)
- S.Leclercqet al.Gut microbiota-induced changes in β-hydroxybutyrate metabolism are linked to altered sociability and depression in alcohol use disorderCell Rep(2020)
- P.Puchalskaet al.Multi-dimensional roles of ketone bodies in fuel metabolism, signaling, and therapeuticsCell Metab(2017)
- C.Amadieuet al.Dietary fiber deficiency as a component of malnutrition associated with psychological alterations in alcohol use disorderClin Nutr(2021)
- W.H.OrganizationGlobal Status Report on Alcohol and Health 2018(2018)