Une piste sérieuse pour comprendre l’origine de nombreuses maladies
Notre tube digestif abrite pas moins de 1013 micro-organismes, soit autant que le nombre de cellules qui constituent notre corps. Cet ensemble de bactéries, virus, parasites et champignons non pathogènes constitue notre microbiote intestinal (ou flore intestinale).Son rôle est de mieux en mieux connu et les chercheurs tentent aujourd’hui de comprendre les liens entre ses déséquilibres et certaines pathologies, en particulier parmi les maladies auto-immunes et inflammatoires.
Dossier réalisé en collaboration avec Dominique Gauguier (unité 1124, Centre universitaire des Saints Pères, Paris), Michel Neunlist (unité Inserm 1235, Institut des maladies de l’appareil digestif, Nantes) , Harry Sokol (unité Inserm 938, Centre de recherche Saint-Antoine, Paris) et Laurence Zitvogel (unité Inserm 1015, Institut Gustave-Roussy, Villejuif)
Comprendre le rôle du microbiote intestinal
Un microbiote est l’ensemble des micro-organismes – bactéries, virus, parasites et champignons non pathogènes, dits commensaux – qui vivent dans un environnement spécifique. Dans l’organisme, il existe différents microbiotes : au niveau de la peau, de la bouche, du vagin, des poumons… Le microbiote intestinal est le plus « peuplé » d’entre eux, abritant 1012 à 1014 micro-organismes. Il est principalement localisé dans l’intestin grêle et le côlon, réparti entre la lumière du tube digestif et le biofilm protecteur formé par le mucus intestinal qui recouvre sa paroi intérieure. L’acidité gastrique n’étant pas favorable à la présence de la plupart des micro-organismes, l’estomac héberge cent millions de fois moins de bactéries commensales que le côlon.

Le microbiote intestinal est le plus important microbiote du corps. Il coexiste avec les microbiotes de la sphère nez/bouche/pharynx, de la peau, des poumons ou encore du vagin.
Le microbiote intestinal colonise les parois de l’estomac et des intestins où il se concentre surtout dans le côlon. Dans le système digestif, sa répartition est la suivante :
- Estomac (milieu oxygéné et acide) : 10 à 1 000 bactéries par millilitre
- Intestin grêle (l’acidité et l’oxygène s’y raréfient progressivement) : 10 000 à 10 millions de bactéries par millilitre
- Côlon (milieu sans oxygène ni acidité) : 10 à 10 000 milliards de bactéries par millilitre
La présence de micro-organismes dans l’intestin est connue depuis plus d’un siècle et on a vite supposé qu’il existait une symbiose entre notre organisme et cette flore. Mais les moyens techniques disponibles pour étudier les détails de cette interaction étaient limités : en effet, seule une minorité d’espèces bactériennes du microbiote intestinale peut être facilement cultivée in vitro. C’est donc la mise au point du séquençage haut débit du matériel génétique qui a récemment donné un nouvel élan à cette recherche : bien qu’encore imparfaite pour analyser exhaustivement d’aussi nombreux génomes, dont certains sont encore méconnus, cette approche permet d’obtenir suffisamment d’informations sur la composition globale d’un microbiote. Elle est souvent combinée à des analyses métabolomique et lipidomique qui permettent quant à elles d’identifier les substances produites par cet écosystème. Ainsi, les scientifiques sont désormais en mesure de décrire de plus en plus finement la nature des interactions hôte-microbiote, celles des micro-organismes entre eux, et leur incidence sur le fonctionnement de l’organisme.
En conséquence, le rôle du microbiote intestinal sur notre santé est de mieux en mieux connu et reconnu. On sait désormais qu’il joue un rôle dans les fonctions digestives, métaboliques, immunitaires et neurologiques. En conséquence, la dysbiose, c’est-à-dire l’altération qualitative et/ou fonctionnelle du microbiote intestinal, est une piste sérieuse pour expliquer certaines maladies, notamment parmi celles sous-tendues par des mécanismes auto-immuns ou inflammatoires. Cette thématique est devenue centrale pour la recherche biologique et médicale.
Les virus qui infectent les bactéries (appelés « phages ») sont aussi très nombreux au sein du microbiote. Ils peuvent modifier les populations bactériennes, leur patrimoine génétique et l’expression de ce dernier. Ainsi, le « virome » constitue sans doute une autre pièce dans le puzzle de la physiopathologie propre au microbiote intestinal, tout comme le microbiote fongique qui regroupe levures et champignons. Autant de sujets d’étude qu’il reste à explorer…
Un écosystème unique formé dès la naissance
Le développement en bonne santé d’un enfant est sous la dépendance directe du microbiote. On estime aujourd’hui que celui de la mère joue un rôle déterminant dans le développement fœtal. A la naissance, le microbiote d’un individu se constitue progressivement, d’abord au contact de la flore vaginale et fécale après un accouchement par voie basse, ou à celui des micro-organismes de l’environnement en cas de naissance par césarienne. La colonisation bactérienne a lieu graduellement, et se déroule dans un ordre bien précis : les premières bactéries intestinales ont besoin d’oxygène pour se multiplier (bactéries aérobies : entérocoques, staphylocoques…). En consommant l’oxygène présent dans l’intestin, elles favorisent ensuite l’implantation de bactéries qui ne prolifèrent justement qu’en absence de ce gaz (bactéries anaérobies : Bacteroides, Clostridium, Bifidobacterium…).
Pendant les premières années de vie, la composition du microbiote intestinal va ensuite évoluer qualitativement et quantitativement, sous l’influence de la diversification alimentaire, de la génétique, du niveau d’hygiène, des traitements médicaux reçus et de l’environnement. Cette composition reste ensuite assez stable, même si cette stabilité semble variable d’une personne à l’autre.
La fluctuation des hormones sexuelles – testostérone et estrogènes – pourra malgré tout avoir un impact sur la composition du microbiote intestinal, tout comme certains évènements : des maladies, des traitements médicaux, des modifications de l’hygiène de vie ou de l’alimentation peuvent en effet modifier le microbiote de façon plus ou moins durable. Par exemple, un traitement antibiotique réduit la qualité et la quantité du microbiote sur plusieurs jours à plusieurs semaines. Les espèces présentes avant le traitement sont capables de se rétablir en grande partie, mais des différences peuvent subsister. Aussi, des antibiothérapies répétées au cours de la vie semblent induire une évolution progressive et définitive du microbiote, potentiellement délétère. Un autre exemple préoccupant est l’impact possible des pesticides et des additifs présents dans notre alimentation quotidienne sur la composition et de la fonction du microbiote.
Quand le microbiote rend service à l’organisme
Le microbiote intestinal assure son propre métabolisme en puisant dans nos aliments (notamment parmi les fibres alimentaires). Dans le même temps, les micro-organismes qui le constituent jouent un rôle direct dans la digestion :
- Ils assurent la fermentation des substrats et des résidus alimentaires non digestibles.
- Ils facilitent l’assimilation des nutriments grâce à un ensemble d’enzymes dont les cellules humaines sont dépourvues.
- Ils assurent l’hydrolyse de l’amidon, de la cellulose, des polysaccharides...
- Ils participent à la synthèse de certaines vitamines (vitamine K, certaines vitamines B) et à trois acides aminés essentiels : la valine, la leucine et l’isoleucine.
- Ils régulent plusieurs voies métaboliques : absorption des acides gras, du calcium, du magnésium...
Des animaux élevés sans microbiote (dits axéniques) ont ainsi des besoins énergétiques 20 à 30 % fois supérieurs à ceux d’un animal normal.
Le microbiote agit en outre sur le fonctionnement global du tube digestif : des animaux axéniques ont une motricité du tube digestif ralentie. La différenciation des cellules de leur paroi intestinale est inachevée, tandis que le réseau sanguin qui l’irrigue et le réseau local de cellules immunitaires sont moins denses que chez les animaux pourvus d’un microbiote intestinal. Or ce système vasculaire a un rôle déterminant pour le métabolisme nutritionnel et hormonal, ainsi que pour l’arrimage de cellules immunitaires au sein de la paroi intestinale.
Le microbiote intestinal participe d’ailleurs pleinement au fonctionnement du système immunitaire intestinal, indispensable au rôle barrière de la paroi intestinale. Dès les premières années de vie, le microbiote est en effet nécessaire pour que l’immunité intestinale apprenne à distinguer les espèces amies (commensales) des pathogènes. Des études montrent que le système immunitaire de souris axéniques est anormal : leurs plaques de Peyer, inductrices de l’immunité au niveau intestinal, sont immatures et leurs lymphocytes, effecteurs des réactions immunitaires, sont en nombre réduit. Leur rate et leurs ganglions lymphatiques, des organes importants pour l’immunité générale de l’organisme, présentent également des anomalies structurelles et fonctionnelles.
Par ailleurs, il est établi que des bactéries comme Escherichia coli luttent directement contre la colonisation du tube digestif par des espèces pathogènes, par phénomène de compétition et par production de substances bactéricides (bactériocines).